Job à la Basilique de la Daurade (Toulouse)
Article mis en ligne le 15 novembre 2019
dernière modification le 16 novembre 2019

Après le médaillon de Notre Dame de Paris, nous nous transportons plus au sud, à Toulouse. Il ne s’agit plus d’un médaillon sur le parvis d’une cathédrale ouverte à tous les vents et visiteurs, mais d’une sculpture multi-faces d’un chapiteau du cloître de la basilique de la Daurade daté de la fin du XII siècle, cloître où l’on peut facilement imaginer tous les regards que les moines ont posés sur ces scènes, lors de leurs passages quotidiens dans le silence de la méditation. Cet unique chapiteau qui retrace l’histoire de Job s’ajoute aux 19 autres chapiteaux qui décrivent la passion du Christ. Les épreuves de Job, présenté comme un juste persécuté qui accepte la souffrance avec résignation, patience et constance dans la foi, sont reliées ici à la Passion du Christ. Avec Job, le promeneur est invité à associer les péripéties de sa vie et celles du monde à l’aventure humaine du Christ.

Ce cloitre est maintenant ouvert à tous les regards puisqu’il n’existe plus depuis que les révolutionnaires ont démantelé l’ensemble. Il est actuellement conservé au musée des Augustins de Toulouse. Autre lieu, autres visiteurs, mais la même méditation.

Exercice difficile que de retracer l’ensemble du livre de Job en quelques scènes ?

Les quatre faces de ce chapiteaux liées les unes aux autres par de nombreux rinceaux se répondent en s’opposant et font entrer dans les profondeurs du livre biblique en introduisant au message qu’il contient.

Le sculpteur a retenu 6 scènes taillées en bas-relief qu’il a inscrites dans des médaillons à l’exception de la dernière face où la scène de dénouement occupe tout le registre supérieur. Ces médaillons formés par des tiges courbées desquelles émergent des rinceaux perlés et feuillus encadrent isolent et relient tout à la fois les différentes scènes.

La destruction des biens de Job

L’un des grands côtés du chapiteau résume le récit de la destruction des biens du patriarche en reprenant deux scènes. Le sculpteur prend le parti ici d’attribuer la perte de ses biens à Satan et non à des phénomènes naturels comme cela est précisé dans le texte biblique.

Dans le médaillon de gauche tout d’abord, Satan est représenté crachant des flammes sur le troupeau. Le visage du Satan a souffert du temps, mais on le devine dans toute sa puissance en voyant son corps se vautrer et couvrir l’ensemble du troupeau, brebis et béliers. Ceux qui échappent aux flammes et aux pierres sont écrasés par ses pieds. D’une main il arrose, de l’autre, il s’apprête à lâcher toute l’énergie qu’il semble puiser dans la bordure du médaillon, comme s’il cherchait à emporter avec lui, dans ce geste destructeur, tout le reste du monde.

Dans le second médaillon, le Satan, toujours sous la même forme, même si le temps semble lui avoir un peu réglé son compte, jette furieusement des pierres sur les bœufs et sur les serviteurs de Job qui se trouvent écrasés sous le poids des bêtes et des pierres, dans un chaos indescriptible où l’on devine quelques vêtements et les visages mis à terre.

La mort des enfants de Job

Sur l’un des côtés du chapiteau, le sculpteur continue la description du prologue qui ouvre le livre de Job, en isolant, ce qui est sans doute le drame le plus important que Job et sa femme doivent traverser, la mort de leurs enfants. Dans ce médaillon, Satan est mis en scène, ici l’on perçoit nettement son visage mi homme mi animal, dans une attitude similaire à celle des médaillons précédents. On le voit cette fois-ci chercher à écraser les corps de trois d’entre eux en s’appuyant sur les ruines des bâtiments dont il accompagne l’effondrement, d’un côté comme de l’autre, de manière irrémédiable. Sur les médaillons précédent, Satan occupait la partie haute comme s’il surplombait la scène et provoquant la mort de loin, ici, il occupe jusqu’à la partie centrale, donnant le sentiment d’entrer dans le bâtiment et de chercher à piétiner les corps comme pour s’assurer de la mort des victimes dont le sculpteur représente avec finesse jusqu’aux traits du visage.
Les bergers meurent sous le poids des bêtes et des pierres, les enfants de Job sont également écrasé par les bâtiments qui les abritent. Un même fléau, une même origine.

Dialogues et réconfort de Job

Le sculpteur nous propose ici une nouvelle scène particulière dont l’atmosphère tranche radicalement avec les trois précédentes. On retrouve Job après les évènements. Satan n’est plus là. Le drame est passé mais il reste les questions et la souffrance. La maladie de Job se devine plus qu’elle n’est représentée. Si l’on mesure l’amaigrissement et la faiblesse manifeste de Job, son corps n’est pas couvert de plaies et de vers comme dans bien d’autres représentations. Si on le voit alité sur le second médaillon, malade et amaigri, il reste droit et assis face à ses trois compagnons, la main sous le menton.

Avec ces deux nouveaux médaillons, le sculpteur présente finalement l’ensemble du livre de Job, n’oublions pas que les 4/5 du livre ne sont qu’une succession de dialogues et de prières alors qu’on ne se souvient que de son histoire qui occupe trois des 42 chapitres du livre.

Ces deux scènes mettent ainsi en miroir, comme dans tout le livre de Job, d’une part les trois cycles de dialogues que Job engage avec ses 3 compagnons, mais aussi l’incessant cri, les prières permanentes, le dialogue intime et spirituel que Job cherche à engager avec Dieu dont il dénonce l’absence. La dynamique du livre de Job tendu vers la rencontre entre Job et Dieu est bien rendu par l’arrivée de l’ange qui est le seul personnage à disposer d’une auréole, signe de la présence de DIeu. Il est le seul ici à toucher Job.

Dans le premier médaillon, il se tient droit à la même hauteur que ses compagnons, dans le second il apparaît alité et trés affaibli, Sur le second médaillon, l’ange touche d’une main les plaies de Job, de l’autre, il offre une aide pour le relever alors que dans le premier les mains des compagnons n’expriment aucune compassion, les mains restant mobilisées pour soutenir un débat, des mots et des paroles vaines. D’un coté, Job à la main fermée, il soutient son visage, celui-ci est baissé et fermé, de l’autre, Job à la main ouverte, son visage comme son regard se lève. D’un côté, il apparaît sûr de lui tel un sage stoïque face à la souffrance, de l’autre, il se révèle fragile et en attente d’un secours. D’un côté, un discours doctrinal sans effet salutaire, d’un autre, une parole avec l’ange qui sauve, qui apaise et qui redresse

En deux scènes, le sculpteur est arrivée à traduire la tension qu’on ressent à la lecture des nombreux chapitres du livre. Un véritable exploit artistique et théologique. Sans parler du niveau de technicité exceptionnel de la gravure : tant de détails et de finesse rassemblés en quelques centimètres de pierre : les plis souples du vêtement de Job, le modelé du corps, les expressions très fines des visages sont lisibles jusqu’aux plis sur le front de Job, le détail des barbes et des chevelures, et même les entrelacements de la natte sur laquelle Job est assis.
Toutes ces attentions du sculpteur entraînent celui qui regarde, à s’arrêter, à être saisi et finalement à se laisser toucher à son tour par la réalité qui lui fait face.

Le dénouement

Le dernier médaillon conclut la représentation par une dernière scène où Job, droit, ayant retrouvé ses vêtements, est visité par cinq personnages. La composition diffère des autres faces du chapiteau : la scène n’est pas ici enfermée dans l’espace circulaire d’un médaillon. Celui qui regarde la scène est invité à sortir du récit et à entrer dans le temps de Dieu. La réponse de Dieu surabonde. Job et ses compagnons se trouvent ainsi libérés du cadre dans lequel aucune réponse n’était audible. La réponse de Dieu nous entraîne dans une nouvelle dimension.

Les personnages sont plus grands que sur les autres faces (ils ont été élevés par la transformation de Job). Job est en mouvement vers la droite (dans le sens opposé à celui de Satan). Parmi les 5 personnages, l’un s’approche de lui et s’inscrit dans le même mouvement. Job les entraine dans son propre mouvement, alors que les autres restent en retrait, mais rien de les empêche à faire de même. On retrouve là les trois compagnons, la femme de Job et le quatrième personnage qui intervient au beau milieu du récit. Ils sont tous en attente de Job.

La conclusion elle même du livre de Job n’est pas simple. Faut-il s’arrêter au seul récit trés simple qui considérant que Job n’ayant pas perdu la foi, ayant résisté aux attaques de Satan, il voit sa situation initiale se restaurer comme n’ont pas cessé de lui rappeler ses compagnons ?
Tout recommencerait donc comme avant comme si tout le cheminement intérieur de Job était une simple parenthèse ? Comme si les enfants de Job n’étaient pas morts.

Certes le texte conclut bien au rétablissement de Job, il décrit bien comment ses proches se rassemblent autour de lui pour le consoler (avec un temps de retard) des malheurs que Dieu lui a fait subir, mais il met en exergue un jugement de Dieu radical condamnant les propos qu’on a tenu sur lui. Dieu condamne Eliphaz et ses deux amis pour avoir mal parlé de lui... il les invite à se convertir et il leur promet que Job priera pour eux...

Regardons attentivement ce dernier médaillon. Observons les mains de Job. Elles sont jointes ! Il prie.
Regardons encore un peu plus, à l’autre bout de cette même scène, une femme, sans doute sa femme, la main ouverte et tendue comme en attente de trouver elle aussi la paix après le drame qui les ont touchés tous les deux.